Véritable pionnier de l'image, Roger Racine a été le premier caméraman francophone de l'ONF et le premier Canadien français à faire de la direction photo de longs métrages. Il a aussi fait partie de la première équipe de télévision de Radio-Canada. Embauché par John Grierson, Roger Racine entre à l'ONF en 1942. Il sera l'assistant du directeur photo Boris Kaufman, qui trouve refuge à l'ONF après avoir fui la France occupée. Racine apprend beaucoup du maître derrière les images des films de Jean Vigo (L'Atalante, 1934). Influence palpable dans son travail à la direction photo des films Le curé du village (1949) et La petite Aurore l'enfant martyre (1951). À l'ONF, ll a notamment tourné des images du film Mesdames et messieurs, M. Leonard Cohen (1965).
Le jeune photographe quitte la Suisse non pas pour le Canada mais pour l'ONF ! Rêvant de cinéma, il choisit le montage avec Gilles Carle Dimanche d'Amérique (1961). C'est le temps des découvrances : Michel Brault et Pierre Perrault entraînent Werner Nold dans une des explorations marquantes de ces folles années du direct. Des kilomètres de pellicule 16 mm et de ruban magnétique s'accumulent aux pieds du monteur – un tournage sans précédent. Nold avance en terre inconnue et construit un récit vécu, épique, Pour la suite du monde (1963). Aguerri, il poursuit de fructueuses collaborations avec Carle, Jutra, Carrière, Godbout, jusqu'au démentiel Jeux de la XXIe Olympiade (Labrecque, 1977). L'ampleur du tournage – 32 équipes – élève le montage au rang de discipline olympique ! Alternant documentaire, fiction et animation, Werner Nold est l'architecte d'une centaine de films, admirable carrière où la transmission du métier devient une ardente vocation.
Après avoir écumé les salles obscures de son Abitibi natale, suivant l'étoile de Fellini, André Melançon dérive doucement vers l'ONF à l'époque où tout peut arriver par accident. Le réalisateur Clément Perron lui propose un rôle dans Taureau (1973). Puis, on lui offre de réaliser un film pour enfants ; il n'y connait rien. Son talent inné avec les jeunes s'impose avec force – n'est-il pas d'abord psycho-éducateur ! Mémorable année 1978 : le documentaire Les vrais perdants fait grand bruit et les critiques proclament Comme les six doigts de la main Meilleur long métrage québécois. La guerre des tuques consacre la renommée de Mélançon dans le genre florissant des films pour enfants. Après plusieurs longs métrages, séries télévisuelles et mises en scène théâtrales, le cinéaste revient aux sources avec l'émouvant documentaire Printemps fragiles (2005), mettant l'enfance au centre de ses préoccupations.
L'histoire a mis Dansereau au bon endroit, au bon moment. Après quelques années à l'ONF comme scénariste et réalisateur, il devient producteur en 1960, à 32 ans. Et ça brasse pas mal dans les corridors de l'Office – c'est le début de la Révolution tranquille au Québec ! De quel don a-t-il hérité pour soutenir, au moment où il le fallait, les cinéastes dans leurs envolées ? Lamothe avec ses bûcherons du Haut-Saint-Maurice, Groulx et Gosselin à Miami, Arcand sur la piste de Champlain, Brault et Perrault qui s’installent à l'Île-aux-Coudres... Artiste complet, Dansereau s'imposera plus tard dans le monde de la télévision, mais le cinéma ne le quittera pas. Avec Quelques raisons d'espérer (2001), portrait de son cousin, l'écologiste Pierre Dansereau, et La brunante (2007), où il retrouve l'actrice Monique Mercure, 40 ans après Ça n'est pas le temps des romans. Infatigable Dansereau.
En 1969, l'artiste est de l'aventure du Grand Cirque Ordinaire : le théâtre s'éclate dans la création collective. Vient aussi le cinéma Entre tu et vous (Groulx, 1970). Intense, dans Le temps de l'avant (Poirier, 1975), son personnage aborde la délicate question de l'avortement. Baillargeon trace ainsi son chemin. Féministe par nécessité, le cinéma est pour elle une forme de rébellion. Et la comédienne fait corps avec l'auteure : en 1979, son premier long métrage, La cuisine rouge, puis Vie d'ange, coscénarisé avec Pierre Harel, ne laissent personne indifférent. Les années 1980 lui offrent de beaux rôles – pour Jutra, Pool, Rozema, Leduc – mais c'est la réalisatrice qui s'affirme avec Sonia(1986), puis Le sexe des étoiles (1993). Peu à peu, elle s'oriente vers le documentaire : Trente tableaux (2011), cette œuvre autobiographique, libre, matérialise les multiples talents de cette grande cinéaste.
Pierre Patry entre à l'ONF en 1957, lorsque son ami Claude Jutra lui demande d'être son assistant pour le tournage du film Les mains nettes (1958). Il y réalisera une douzaine de films, dont Petit discours de la méthode (1963) et Il y eut un soir... Il y eut un matin
(1964). Le réalisateur fait partie de ceux qui se retirent tôt de l'ONF pour tenter l'aventure du long métrage. À 30 ans, il fonde Coopératio et réussit son pari : Trouble-fête (1964), succès au box-office, est à l'origine de la renaissance de l'industrie du cinéma au Québec. Il produit par la suite plusieurs films, dont Entre la mer et l'eau douce (1967) de Michel Brault et, avec d'autres collègues, il négocie auprès du gouvernement la création d'un organisme de financement du cinéma, Téléfilm Canada. Patry lui-même n'en profitera pas. Il produit son dernier film en 1972, Les colombes de Jean-Claude Lord, avant d'abandonner le monde du cinéma pour se tourner vers la télévision éducative.
Pierre Patry est décédé le 7 juin 2014 à l'âge de 80 ans.
Jacques Giraldeau fonde, dès 1948, le premier cinéclub au Québec, période où il côtoie les artistes signataires du Refus global. Avec son ami Michel Brault, il travaillera à l'ONF durant la majeure partie de sa carrière. Giraldeau s'éclipse quelques années pour tester la liberté, troquant les lourdes caméras 35 mm pour une portative Bolex 16 mm. Toujours avec Brault, il tourne 39 courts métrages, Petites médisances (1953-1954), qui présagent la révolution du cinéma direct. Il revient à l'Office en 1960 dans l'effervescence précédant la naissance du Programme français. C'est un temps d'invention, et Giraldeau est souvent là aux commencements. Il sera même l'un des fondateurs de la Cinémathèque québécoise, en 1963. De La neige a neigé (1951) à L'ombre fragile des choses (2007), Jacques Giraldeau compte plus d'un demi-siècle de réalisation, une œuvre singulière et précieuse, consacrée à l'évolution de l'art au Québec.
Ce document fait le portrait de la cinéaste Monique Fortier. Il fallait tordre le cou du destin pour qu'une femme se retrouve à l'ONF, dans cet univers masculin des années 1950. Tout se bouscule pour elle. De secrétaire à monteuse, Monique Fortier devient la première femme francophone à réaliser un film à l'ONF, À l'heure de la décolonisation (1963), au même moment qu'Anne Claire Poirier. Elle choisit par la suite de se consacrer au montage. Le regard fixé sur l'écran lumineux de la Steenbeck, cette artiste de l'ombre participe à cette nouvelle écriture qui donne forme et sens aux élans spontanés du cinéma direct. De film en film, des complicités se développent avec les Perrault, Godbout, Gosselin, Arcand, Rached... Elle est derrière l'œuvre de ces grands. Monique Fortier et Anne Claire Poirier termineront ensemble leur carrière d'exception en 1997 avec le montage du dernier film de cette dernière, Tu as crié LET ME GO.
Réflexions croisées, lumineuses, de cinq grandes dames du cinéma québécois sur les luttes menées par les femmes afin de porter à l'écran l'imaginaire de l'autre moitié de l'humanité. Aimée Danis, réalisatrice, fonde Les Productions du Verseau en 1973 et produit plusieurs œuvres majeures, tel Léolo (Lauzon, 1989) ; elle est décédée en mai 2012. Mireille Dansereau, première femme ayant réalisé de façon indépendante un long métrage de fiction au Québec – La vie rêvée (1972) –, construit une œuvre dense, plurielle, engagée, à laquelle la Cinémathèque québécoise consacre une rétrospective en 2012. Hélène Girard, monteuse de renom, a depuis 40 ans, façonné un nombre vertigineux de films importants et s'est retrouvée plusieurs fois en nomination pour le Gémeau ou Jutra du meilleur montage. Quant à Anne Claire Poirier et Paule Baillargeon, un texte leur est consacré à chacune dans la présente section.
Chez cet inépuisable cinéaste, le geste spontané côtoie l'art de la patience. Il explore depuis cinquante ans notre perception des images animées. Encouragé dès 1962 par le grand McLaren, Hébert, l’avant-gardiste, poussera à l’extrême la technique de la gravure sur pellicule. Après Souvenirs de guerre (1982), puissant film antimilitariste, il monte sur scène, devant public, pour enrichir son travail. Avec des musiciens, Hébert grave des images en direct sur la pellicule projetées en boucle sur l'écran. Le fruit de ces performances devient matière première pour ses films La lettre d'amour (1988) et inspire même le long métrage La plante humaine (1996), œuvre magistrale qui fait la synthèse du long chemin parcouru par Hébert. L'artiste expérimente toujours, invité aux quatre coins du monde, multipliant les projets, tel Lieux et monuments, dans lequel il métamorphose des images du quotidien filmées en voyage.
Pouvait-il savoir qu'il faisait l'histoire, film après film? Cela, dès ses premiers tournages amateurs avec Claude Jutra, en 1947, amitié déterminante pour notre cinématographie. Brault arrive à l'ONF en 1956 et bouscule les habitudes, entre gestes de défiance et désir d'expérimenter. Les raquetteurs (1958) lance un mouvement irréversible. Le Québécois prend la tête de cette révolution du cinéma direct, avec l'Américain Leacock et le Français Rouch lequel découvre en Brault « la caméra qui marche ». Brault amorce avec Pierre Perrault et les habitants de l'Île-aux-Coudres un projet qui les dépassera : Pour la suite du monde (1963). Du cinéma vécu, dans l'action, au plus près des gens – un moment décisif. Mais Brault ne s'assied jamais, explorant toutes les pistes du réel à la fiction. Jusqu'au tout puissant Les ordres (1974) – primé à Cannes –, gravé dans la mémoire collective. Il signe les images des plus grands films d'ici – Mon oncle Antoine, Les bons débarras, Mourir à tue-tête. Que serait le cinéma québécois sans Brault?
Son frère Pierre et lui font les beaux jours de la jeune industrie privée du cinéma dans le Québec des années 1960. Fondé en 1962, Onyx Films fait dans la publicité et les émissions télévisées. Le cinéma s'impose à eux peu à peu – André Lamy produit Gilles Carle Viol d'une jeune fille douce (1968). À sa grande surprise, en 1970, on l'invite à l'ONF, lui, l'homme du privé. Commissaire adjoint, puis commissaire en 1975, Lamy prend la direction d'un joyeux navire. À cette époque, l'institution est en pleine expansion. Il insiste sur la visibilité des films, ici et dans le monde – le prestige de l'Office est au zénith. En 1980, il dirige la SDICC (futur Téléfilm Canada) et gère là aussi une période d'expansion extraordinaire. La décroissance, ce sera pour les suivants ! André Lamy est mort le 2 mai 2010.
Géant méconnu, il joue un rôle décisif dans l'évolution de l'ONF et la place qu'y prendront les francophones. Engagé dans la Jeunesse étudiante catholique qui anime les cinéclubs, Juneau le cinéphile arrive à l'ONF en 1949. Son ascension est rapide. Commissaire adjoint de l'ONF en 1954, conseiller sur les questions relatives au français –il n'a que 32 ans –, Juneau est acteur de premier plan dans le déménagement de l'ONF à Montréal. Transplanter le très English Film Board dans la société francophone a un impact historique sur l'évolution du cinéma québécois. L'autonomie de la production française s'impose en 1964 ; Juneau en est le premier directeur. Président du Conseil de la radio-télévision canadienne (futur CRTC) en 1968, président de Radio-Canada pendant la décennie 1980, tous ces mandats font de lui un des grands serviteurs qu'auront connus les institutions culturelles du pays.
En cette époque incertaine et angoissée où Nostradamus et les prophètes de malheur font l'actualité, ce documentaire se penche, avec humour et dérision, sur le monde des arts divinatoires. Fascinant voyage au cœur de l'insolite, il parcourt les sphères du paranormal pour nous faire découvrir une galerie de personnages. Avec une douce folie qui vire au délire, le cinéma de Denys Desjardins brouille toutes les boules de cristal et sème la zizanie dans la galaxie ésotérique!
Long métrage documentaire sur le décrochage, la démotivation des élèves et les dépressions des profs. En pénétrant le quotidien des cas difficiles de l'établissement montréalais placé au dernier rang du classement des écoles secondaires, Denys Desjardins balaye nombre de préjugés sur la qualité de l'enseignement dans les quartiers défavorisés et sur la délinquance des jeunes qui y vivent. Un film tout d'ambiance qui relance avec intelligence et sensibilité le débat sur l'école publique.
Documentaire racontant un chapitre significatif de l'histoire du Québec : le développement des régions. Le cinéaste revisite l'héritage du cinéma québécois tourné en Abitibi, marchant dans les traces de Pierre Perrault. Au coeur de la crise économique des années 1930, le gouvernement organise le transport de plus de 80 000 colons pour fonder un pays neuf sur les territoires vierges de l'Abitibi. Toutefois, plusieurs quitteront ces terres durement défrichées, cherchant un meilleur sort à la ville. Mais de génération en génération, la famille Lalancette persiste à construire l'avenir sur sa terre. Denys Desjardins les suit dans leur quotidien.
Entrevue avec la cinéaste Anne Claire Poirier. Cette femme ouvre les portes à toutes les autres. Son œuvre si personnelle fonde ici un cinéma féminin, féministe, où l'art du montage et la force de l'écriture ne sacrifient rien au militantisme. Début 1960, à l'ONF, la place des femmes n'est pas autour de la caméra. Poirier convainc pourtant et devient réalisatrice. De mère en fille (1968), premier film féministe québécois, propulse l'engagement de la cinéaste : changer le monde, c'est aussi ouvrir l'ONF au talent des femmes. Acharnée, avec la création du programme « En tant que femmes » (1972), elle produira les films de plusieurs réalisatrices. Puis, les siens : l'insoutenable et nécessaire Mourir à tue-tête nous hante toujours. Car tout n'est pas acquis pour les femmes. Anne Claire Poirier se retire avec le film le plus douloureux qui soit, Tu as crié LET ME GO, portant sur la disparition tragique de sa fille.
L'écran d'épingles est lié au destin artistique de Jacques Drouin. Il est le seul à y avoir consacré sa carrière depuis la mort de son inventeur, Alexandre Alexeïeff. Celui-ci et Claire Parker ont réalisé de grands films avec cette mythique « machine à rêver » construite en 1931. Seuls dix prototypes seront fabriqués, dont l'un, acquis par l'ONF en 1972, tombe entre les mains de Drouin. Fasciné, il s'approprie l'instrument – ce qui réjouit Alexeïeff vieillissant. Cet écran au relief fait de 240 000 épingles transforme ombre et lumière en personnages, en paysages mouvants comme le sable. Le cinéaste façonne patiemment des œuvres remarquables, du film Le paysagiste (1976) à Empreintes (2004), où il déploie un savoir-faire inégalé qu'il transmet à son tour, aujourd'hui. Les Archives françaises du film à Paris font même appel à Drouin, en 2007, pour restaurer les écrans d'épingles Alexeïeff-Parker.
Dans cette courte entrevue, le preneur de son Claude Pelletier traverse les grandes mutations technologiques. D'abord, le lourd matériel de prise de son, qui nécessite à lui seul un camion, un boulet aux pieds des équipes de tournage. Ensuite, le magnétophone portatif Nagra, qui fera voyager l'homme du son de par le monde. Entre les deux, une révolution technique, esthétique, bouscule l'ordre établi. Avec cette grande libération du son, Gilles Groulx et Arthur Lamothe entraînent Pelletier aux barricades pour Golden Gloves (1961) et Bûcherons de la Manouane (1962). Parmi la centaine de films auxquels collabore Pelletier, plusieurs ont marqué leur époque : De mère en fille (Poirier, 1968), Où êtes-vous donc? (Groulx, 1969). Passionné de généalogie, il profite des tournages pour fouiner dans les archives des églises du Québec, compilant près de 90 000 noms liés au patronyme Pelletier. Depuis leur retraite, Claude et son épouse, Laure Gauthier, sont devenus maîtres-généalogistes agréés.
La Seconde Guerre mondiale, par ricochet, nous a donné un combattant de la lutte pour un cinéma authentiquement canadien. En 1939, le début des hostilités surprend le jeune Anglais en voyage au Canada. Il est coincé. John Grierson l'attire à l'ONF, d'abord comme caméraman (1941), puis producteur (1945), début d'une belle carrière consacrée au documentaire pour Spencer qui rêve de fiction. Grierson, fondateur de l'ONF, croit au cinéma comme outil d'éducation populaire. Spencer, lui, aspire à voir naître une industrie cinématographique au Canada, indépendante d'Hollywood. Il y travaille activement. En 1966, l'ONF lui donne ce mandat : proposer un plan de soutien gouvernemental au cinéma canadien. Le gouvernement accepte. De 1968 à 1978, Spencer, premier responsable de la SDICC (aujourd'hui Téléfilm Canada), soutient des œuvres aussi importantes que Les ordres (Brault, 1974) et L'apprentissage de Duddy Kravitz (Kotcheff, 1974).
Entrevue avec Monique Mercure tirée du projet Une histoire du cinéma - 61 portraits vivants. Du Festin des morts (Dansereau, 1965) au Festin nu (Cronenberg, 1991), on peut s’étourdir à l’évocation des films où Monique Mercure tient, toujours avec intensité, de grands et petits rôles. Elle va patiemment imposer sa présence, forte, à une époque où le métier d’actrice de cinéma n’existe pas au Québec. Son fidèle ami Claude Jutra lui donne d'abord un rôle dans À tout prendre (1963). Avec Deux femmes en or (Fournier, 1970), elle connaît le succès populaire. Puis J.A Martin photographe (Beaudin, 1976) célèbre son talent et lui vaut le prix d’interprétation féminine à Cannes. Au fil des ans, elle travaille avec les grands d'ici – Jutra toujours, Labrecque, Poirier, Pool, Lepage, Aubert – traversant les générations, tout en participant à plusieurs films en anglais. Elle retrouvera Fernand Dansereau et son émouvant personnage de Madeleine, quarante ans plus tard, pour La brunante (2007).
D'où vient le cinéma direct? Quels en sont les précurseurs et les oeuvres avant-gardistes? Grâce à l'essor des techniques et à l'esprit aventurier de cinéastes pionniers parmi lesquels Michel Brault occupe une place centrale, une nouvelle façon de faire du cinéma naît à la charnière des années 1950 et 1960. Le film de Denys Desjardins retrace avec pertinence l'histoire d'un mouvement collectif qui a bouleversé les méthodes de production et de tournage dans un Québec en pleine affirmation nationale. Porté par un profond désir de se rapprocher des gens, le cinéma direct s'invente alors au jour le jour en toute liberté. Recueillant les témoignages des Marcel Carrière, Jean-Claude Labrecque, Denys Arcand, Fernand Dansereau et autres, ce document essentiel explore une page marquante dans l'évolution de notre cinématographie.
Maître incontesté du cinéma d'animation de marionnettes, Co Hoedeman marque l'imaginaire des téléspectateurs un certain dimanche soir où Le château de sable (1977) vient illuminer nos écrans de télévision. L'Oscar du meilleur film d'animation, une formalité ! Le cinéaste quitte les Pays-Bas 12 ans plus tôt – à 25 ans – dans l'espoir de travailler à l'ONF. Début d'un prodigieux parcours, Hoedeman se transforme en artiste complet : il donne vie à des blocs, du papier découpé ou mâché, du sable, des créatures de son cru. Il explore les légendes inuites, se préoccupe d'écologie, invente des mondes fantaisistes. Il fabrique tout – décors, personnages, papier – et manipule la caméra. D'où vient la magie de Co ? Auprès de ses propres enfants et petits-enfants, sans doute a-t-il toujours su renouveler son regard. La maîtrise de son art est telle avec Ludovic, l'ourson en peluche, qu'enfants et adultes versent immanquablement des larmes.
Loin des regards du public et des honneurs, Robert Forget est celui par qui le changement arrive à l'ONF. Visionnaire émerveillé, un pied dans le futur rapproché, il anticipe les mutations technologiques. Jeune producteur, il créé dès 1971, un atelier de production vidéographique communautaire, Le Vidéographe, aujourd'hui pôle essentiel des arts médiatiques. Tour à tour directeur du studio français d'animation (1978), du Programme français (1989), puis des services techniques (1993), Forget s'active sans relâche, tout en produisant plus de 75 films : développement historique de l'animation par ordinateur ; ouverture en 1994 de la CinéRobothèque au cœur de Montréal – espace fabuleux de visionnage des films – ; et pour l'an 2000, premiers pas de la diffusion des films sur Internet avec l'avant-gardiste CinéRoute. Les avancées technologiques favorisent la création, croit Forget. Et le présent donne raison à ses intuitions futuristes!
Il entre à l’ONF, un film amateur en poche. Dès 1949, à 20 ans, on l’envoie 18 mois dans l’Arctique tenir la caméra pour des films sur le peuple inuit. Jean Roy est ensuite caméraman pour tous les réalisateurs des glorieuses années 1950-1960 : les Devlin, Dansereau, Garceau, Giraldeau, Koenig, Kroitor, Palardy, Portugais… Il a pour assistants Michel Brault, George Dufaux ! Avec sept autres caméramans, il tourne Jour de juin (1959) dans l’esprit du cinéma direct naissant. Roy accompagne Pierre Patry dans l’aventure privée de Coopératio et fait la direction photo de Trouble-fête (1963), premier succès québécois en salle. Responsable du service de la caméra de l’ONF (1972-1983), Jean Roy institue ce qu’on appelle aujourd’hui l’Aide au cinéma indépendant (ACIC). Grâce à lui, depuis 40 ans, des générations de cinéastes indépendants obtiennent le soutien technique de l’ONF pour compléter leurs films.
« Nous avions tous autour de 30 ans, c'était facile de s'agiter. » Au tournant des années 1960, les jeunes savants fous comme Godbout font exploser le laboratoire qu'est devenu l'ONF. Ils n'ont pas de formation en cinéma; ils viennent de tous les horizons. Godbout, lui, revient d'Éthiopie où il enseignait le français. Engagé par l'ONF en 1958, il est vite emporté par ce tourbillon de collaborations qui fait rêver aujourd'hui – avec les Aquin, Jutra, Brault, Dansereau, Carle, etc. Fondateur de la revue Liberté et du Mouvement laïque de langue française, premier président de l'Union des écrivaines et écrivains du Québec, Jacques Godbout a été de toutes les luttes, mais aussi de toutes les excentricités : après le documentaire, il expérimente la fiction, période à haut risque créatif qui enfante YUL 871, Kid sentiment et le légendaire IXE-13, hissé au rang de film-culte.
Le jeune comédien travaille dans un théâtre expérimental où le remarque le cinéaste Gilles Groulx. Il se retrouve devant l'objectif de Jean-Claude Labrecque pour le tournage du film Le chat dans le sac (1964). Cet unique rôle au cinéma fait de lui une icône de la jeunesse canadienne-française en quête d'identité, en pleine Révolution tranquille. Le film de Groulx consacre la modernité du cinéma de fiction québécois, porté par l'élan du cinéma direct – de pair avec À tout prendre (Jutra, 1963). Claude l'acteur, lui, s'éloigne aussitôt de son personnage pour vivre sa vie : il devient réalisateur, puis fonde les productions Prisma avec des amis. On leur doit des films aussi importants que Les ordres (Brault, 1974) et Les bons débarras (Mankiewicz, 1980). Plus près de nous, Godbout a produit le documentaire Le rêve américain (Boulianne, 2014) et la série Cinéma québécois (2008).
Cinéaste un peu par accident, cet historien de formation et de cœur est le plus connu des réalisateurs québécois. Plusieurs fois primé à Cannes, il obtient en 2003 l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Pourtant, Arcand a déjà été novice ! Pour faire un film étudiant, en 1961, l'ONF lui prête l'équipe de rêve : Brault, Groulx, Carrière et Gosselin. Ses nouveaux amis lui trouvent vite du travail à l'ONF. En tournage, le caméraman Bernard Gosselin lui apprend tout du métier. L’école d’Arcand, c'est l'Office. Il voisine même la salle de montage où Pour la suite de monde est en gestation. Le foisonnement ambiant nourrira son œuvre. Film après film, empruntant à la pensée de Machiavel, à la tragédie, au récit biblique, Arcand, l'iconoclaste, ébranle nos certitudes. Toujours plongé dans notre histoire contemporaine sans complaisance..., le sourire en coin.
Il y a une vie avant l'ONF pour cette artiste formée aux beaux-arts. Dans les années 1970, elle réalise plusieurs courts métrages indépendants, dont certains films-collage expérimentaux. Elle arrive à l'ONF autour de 1990 : ses premiers films font appel à la rotoscopie – cette technique qu'elle affectionne permet de redessiner des mouvements filmés en prises de vue réelles. Un nouveau cycle s'ouvre avec Le chapeau (1999) : Cournoyer plonge dans l'encrier, opte pour le trait noir sur fond blanc, minimaliste. Elle pourchasse la métamorphose jusque dans ses derniers retranchements, avec un thème difficile à traiter, l'inceste. La puissance des métaphores visuelles qu'elle fait s'entrechoquer bouleverse le public. Ce film lui apporte une reconnaissance mondiale. Elle poursuit dans cette veine avec le troublant Accordéon (2004) et Robe de guerre (2008), terrifiant. Ces films sans paroles nous laissent sans voix.
Fervent cinéphile, à l'école de l'ONF dès 1959, Labrecque apprend le métier dans l'enthousiasme. Très doué, il devient caméraman et s'impose, hardi et volontaire. Il fera les images de plusieurs œuvres majeures du jeune cinéma québécois, dont Un chat dans le sac (Groulx, 1964) et La vie heureuse de Léopold Z. (Carle, 1965). Directeur photo d'exception, il passe ensuite à la réalisation : de 60 cycles (1965) aux Jeux de la XXIe Olympiade (1977), du « Vive le Québec libre ! » du général de Gaulle à la campagne électorale du premier ministre Bernard Landry en 2003, des trois Nuits de la poésie à André Mathieu, musicien (1993)... Son œuvre est généreuse, foisonnante, colossale. Féru d'histoire et de culture, Labrecque a fouillé bien des recoins de la société québécoise. Et l'humain reste toujours, encore aujourd'hui, au cœur de sa traversée cinématographique.
Après les temps forts du cinéma direct, avec autant de liberté, Jacques Leduc se promène entre fiction proche du réel, tout en plans-séquences On est loin du soleil (1970) et documentaire brut, tout en plans-présences Chroniques de la vie quotidienne (1977-1978). Avec cette symphonie en sept films rythmée par les jours de la semaine, il frappe l'imaginaire des cinéphiles. Sensible et audacieux, inventif, cet homme d'équipe explore ensuite la frontière fiction ̶ documentaire Albédo (1982), Le dernier glacier (1984). Puis, reçu chaleureusement par la critique, Trois pommes à côté du sommeil (1988), oriente ses prochains films, davantage ancrés dans la fiction. Leduc se révèle aussi homme à la caméra fidèle pour ses amis Tahani Rached, Jean Chabot, Paule Baillargeon, Yves Dion... Entouré des complices de la Casa obscura, atelier d'artistes qu'il cofonde en 1993, le photographe-mélomane y anime toujours des soirées cinématographiques.
On associe Claude Fournier aux grands moments de la comédie québécoise : Deux femmes en or (1970), un succès inouï avec deux millions de spectateurs en salle, et plus récemment, J'en suis (1997). C'est pourtant le journalisme qui le mène au cinéma, documentaire de surcroit. Il se lie d'amitié avec Michel Brault qui partage sa passion pour la caméra. Fournier participe aux premiers ébats du cinéma direct avec Brault et sa bande, en particulier La lutte (1961), un sommet du genre. Il quitte l'ONF pour travailler quelque temps à New York avec les pionniers du cinéma direct américain, Drew, Leacock et Pennebaker, à qui l'on doit le célèbre Primary (1960). Au fil du temps, bâtisseur de l'industrie privée, Fournier se consacre à la fiction tant au cinéma qu’à la télévision. Il retrouvera Michel Brault, l'ami des origines, pour coscénariser Mon amie Max (1994).
Marcel Carrière est sans doute au son ce que Michel Brault est à l'image. Entre 1958 et 1964, l'art et la technique vivent une vraie histoire d'amour. Les artisans transforment les outils du cinéma pour modifier à jamais notre regard sur la réalité. Avec son entêtement inventif, Carrière cherche à parfaire la prise de son synchrone, à délivrer son magnétophone des câbles et de la caméra. La liberté qu'a gagnée le preneur de son, c'est grâce à lui. Il est de presque tous les tournages marquants de cette folle aventure du direct à l'ONF, de l'an zéro avec le film Les raquetteurs (1958) à celui qui récolte les fruits de ces avancées techniques, le chef-d’œuvre Pour la suite du monde (1962). Carrière se lance dans la réalisation. Documentaires et fictions se succèdent, imprégnés d'un humour généreux, d'un ton bienveillant, à son image.
Il semble avoir vécu trois ou quatre vies. À son retour d'Europe en 1945, ce peintre de guerre est recruté par le fondateur de l'ONF lui-même, John Grierson. Roger Blais a pour le célèbre Écossais le plus grand respect et il lui consacrera son dernier film, Monsieur John Grierson (1973). Le nouveau venu fait partie du cercle restreint des premiers réalisateurs francophones à l'ONF. D'instinct, il y défend l'importance de travailler dans sa langue. En 1954, producteur exécutif du nouveau studio F – le French Unit –, il revendique même la nécessité d'une section française autonome. Blais réalisera et produira un nombre étourdissant de films avant de se lancer dans de multiples entreprises hors ONF : une mission anthropologique en Nouvelle-Guinée pour les Nations unies, la direction de l'audiovisuel pour Expo 67, etc. Il s'est éteint en 2012, à l’âge de 95 ans.
Long métrage de Denys Desjardins, mélangeant documentaire et autofiction. Borgne, le cinéaste décide de se faire implanter une caméra à la place de l’œil manquant, question de filmer les gens à leur insu. En 2001, le film annonçait-il l'arrivée des ordiphones, alors qu'on filme notre environnement est continuellement filmé?