Werner Nold est le récipiendaire du prix Albert-Tessier 2010, la distinction la plus prestigieuse accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine du cinéma.
En son honneur, nous avons préparé une sélection de films de l'ONF sur lesquels il a travaillé à titre de monteur.
Découvrez le grand talent d'un artiste d'origine suisse, qui a déménagé au Canada à l'âge de 22 ans afin de travailler avec certains des meilleurs cinéastes canadiens : Michel Brault, Claude Jutra, Gilles Carle et plusieurs autres.
Werner Nold ou les règles de l’imagination
Par Marc St-Pierre, conservateur de collection
Le 9 novembre 2010, Werner Nold recevait, à l’Assemblée nationale du Québec, le prix Albert-Tessier, la plus haute distinction dans le domaine du cinéma au Québec. Il aura mené une carrière exceptionnelle à l’ONF, pendant plus de 35 ans. Monteur émérite, son nom figure au générique de près d’une centaine de productions, dont plusieurs films marquants, comme Pour la suite du monde (1962), Le steak (1992), La vie heureuse de Leopold Z (1965), Le temps d’une chasse (1972), pour ne nommer que ces quelques titres. C’est l’occasion de retracer quelques moments importants de sa carrière à l’ONF et de vous offrir une sélection de films auxquels il a participé.
Un photographe devenu monteur
Werner Nold est né en Suisse en 1933. Après avoir obtenu une maîtrise de photographie, il arrive au Québec le 21 septembre 1955, Quatre mois plus tard, il est engagé au Service de la ciné-photographie de la province de Québec. L’organisme, qui a pour mandat de diffuser de l’information gouvernementale, produit essentiellement des films touristiques et didactiques destinés aux écoles, ambassades et consulats. Werner Nold y travaille à titre de photographe, preneur de son et réalisateur. Par la suite, il est embauché chez Nova Films, une compagnie de production privée, où il fait le montage sonore des films de l’abbé Proulx. Mais c’est le montage visuel qui le passionne. Curieusement, il y arrive un peu par la force des choses. Il commence d’abord par monter ses propres films, puis, voyant son travail, ses collègues cinéastes lui demandent de monter les leurs. Werner Nold semble avoir trouvé sa voie. Mais pour lui, l’endroit où travailler en cinéma c’est à l’ONF. Il sollicite donc une entrevue auprès de l’organisme.
Ses premiers pas à l’ONF
Au printemps 1961, il rencontre Pierre Juneau, alors commissaire-adjoint, directeur exécutif et grand responsable de la Production française. Il est embauché en juin de la même année comme monteur. À l’époque, l’ONF compte trois studios destinés à la production française : les studios F et H pour les productions originales, et le studio G pour les versions françaises. C’est dans ce studio, dirigé par le producteur Jacques Bobet, que Werner Nold fait ses premières armes à l’ONF. Mais il le quitte rapidement puisque que quelques mois plus tard, on lui demande de terminer le montage de Manger (1961) de Louis Portugais et Gilles Carle. Ce film marque la rencontre et le début d’une longue collaboration avec le cinéaste Gilles Carle. Il travaillera sur une dizaine de ses films à titre de monteur ou de preneur de son, dont une coréalisation, Cinéma, Cinéma (1985).
Le cinéma direct
Quand Werner Nold arrive au début des années 1960, la Production française est dans une période de grande effervescence. Les cinéastes de l’équipe française imposent leur présence, qui jusque-là avait été marginalisée, en développant une nouvelle façon de faire du cinéma. Ils tournent des films qui remettent en cause les règles établies, qui veulent se libérer de l’académisme, du classicisme ambiant, qui veulent redonner la parole aux individus d’une société, elle aussi, en pleine ébullition, en pleine affirmation nationale, en pleine révolution tranquille. Ce nouveau cinéma, ce « cinéma direct », comme on l’appelle aujourd’hui, s’invente au fur et à mesure des films. Formés dans d’autres disciplines, ayant appris à faire du cinéma par eux-mêmes, les artisans de l’équipe française inventent de nouvelles règles de tournage et de montage. Ils utilisent et contribuent à développer un matériel plus léger, plus mobile, et réinventent le travail en équipe. Désormais, rien n’est impossible, tout est à faire, tout est à inventer. Les règles de l’académisme font place à celles de l’imagination. Werner Nold s’inscrit parfaitement dans cette mouvance. Il contribue à ce bouillonnement d’idées et de créativité en montant plusieurs films : Dimanche d’Amérique (1961), 60 cycles (1965), Patinoire (1963), Rouli-roulant (1966). Mais c’est en assurant le montage de Pour la suite du monde (1962), le chef d’œuvre de Pierre Perrault et Michel Brault, qu’il fait sa marque. Le film marquera non seulement l’histoire du documentaire à l’ONF, mais aussi celle du documentaire mondial.
La fiction
Werner Nold contribue également à l’essor du long métrage de fiction à l’ONF. En 1965, il monte le premier long métrage de Gilles Carle, La vie heureuse de Leopold Z. Il faut dire qu’à cette époque, la fiction de plus de trente minutes en est à ses premiers balbutiements. En 1967, il monte, à l’extérieur de l’ONF, Entre la mer et l’eau douce de Michel Brault. Son travail se poursuit dans les années 1970 avec des films d’auteur et de genres, comme Le temps d’une chasse (1972) de Francis Mankiewicz, IXE-13 (1971) et La gammick (1974) de Jacques Godbout, OK… Laliberté (1973) et Ti-Mine, Bernie pis la gang (1976) de Marcel Carrière. Pour Werner Nold, monter une fiction, c’est comme faire de la psychologie. Il faut se mettre dans la peau des personnages, mais aussi dans celle du spectateur qui voit le film pour la première fois. Le montage doit être dicté par le scénario, par l’histoire. Il accorde également une grande importance au rythme, qui, selon lui, ne se trouve pas dans le montage lui-même, mais dans les images tournées par le réalisateur. Pour Werner Nold, le travail du monteur consiste à trouver le rythme du film dans les images tournées, plutôt que de chercher à l’imposer avec le montage.
L’aventure olympique
En 1976, Montréal accueille les Jeux olympiques. Un projet gigantesque de film se met alors en branle, Les jeux de la XXIème olympiade (1977). Les cinéastes Jean-Claude Labrecque, Marcel Carrière, Georges Dufaux et Jean Beaudin ainsi qu’une armée de caméramans (32 équipes de tournage pour un total de 168 personnes) sont envoyés sur les lieux des compétitions et tournent deux cents heures de film! L’idée de Labrecque, responsable du projet, est de s’approcher le plus possible des athlètes; un tournage à hauteur d’homme. Werner Nold se voit confier la responsabilité du montage. Il engage 4 assistants monteurs pour lui venir en aide. Le visionnage du matériel tourné prend, à lui seul, 5 semaines! De l’ouverture des jeux (juillet 1976) à janvier 1977, Werner Nold travaille littéralement nuit et jour sur le projet (il couche à l’ONF, dans une salle de maquillage, pendant trois mois). Avec ses assistants, il monte, de juillet à novembre 1976, une version de 4 heures et demie du film. Puis de novembre 1976 à janvier 1977, ne s’accordant que quelques jours de congé à Noël, il travaille 16 heures par jour, avec un seul assistant, à la version finale de deux heures. Un travail exceptionnel qui jamais ne s’éloignera de l’idée de base, celle de montrer comment les athlètes ont vécu les jeux.
Les grands documentaires
Amorcé dans les années 1960, Werner Nold poursuit son travail en documentaire dans les années 1980 et 1990. Il travaille avec de vieux complices, comme Jacques Godbout (Derrière l’image, 1978; Distorsions, 1981; Un monologue Nord-Sud, 1982; Comme en Californie, 1983), Gilles Carle (Ô Picasso, 1985; Cinéma, Cinéma, 1985), et Jean-Claude Labrecque (L’histoire des Trois, 1990), mais aussi avec Georges Dufaux (la série Gui Daò – Sur la voie, 1980); série pour laquelle il met au point une enregistreuse fonctionnant en parfait synchronisme avec sa table de montage. La bande enregistrée contient la version française des dialogues en chinois captés au moment du tournage. Il peut donc avoir accès instantanément aux dialogues et aux images en même temps, sans dépendre d’un interprète. Il travaille également avec Pierre Falardeau (Le steak, 1992), Dorothy Todd Hénault (Québec… un peu… beaucoup… passionnément…, 1989) et Alain Chartrand (Un homme de parole, 1991), pour ne nommer que ceux-ci. Alors que le montage de la fiction est une affaire de psychologie, celui du documentaire se compare au travail d’écriture. Le film doit être écrit au fur et à mesure du montage. Contrairement à la fiction, la structure du documentaire n’est pas dictée par l’histoire, mais par le point de vue du cinéaste.
L’animation
Dans les années 1980, alors qu’il alterne de la fiction (Mario, 1984; la série Franc-ouest, 1989) au documentaire, en passant par le cinéma expérimental (Zea, 1981), Werner Nold aborde le cinéma d’animation. En 1987, il monte son premier film, Charles et François de Co Hoedeman. Suivront Le colporteur (1988) et Overdose (1994) de Claude Cloutier, Nocturnes (1988) et L’empire des lumières (1991) de François Aubry, Juke-Bar (1989) de Martin Barry, Une artiste (1994) de Michèle Cournoyer, Taa Tam (1995) d’André Leduc, Entre le rouge et le bleu (1995) de Suzie Synnott et Le jardin d’Écos (1997), son dernier film, de Co Hoedeman.
Monteur de près d’une centaine de films, réalisateur, preneur de son, professeur de cinéma, grand défenseur du développement et de la diffusion du cinéma québécois, décoré de l’Ordre du Canada (1985), récipiendaire du prix Albert-Tessier (2010), Werner Nold aura connu une carrière prolifique et exceptionnelle. Il avait choisi, à la fin des années 1950, de devenir monteur plutôt que réalisateur parce qu’il préférait « être un grand soliste plutôt qu’un petit chef d’orchestre obscur ». Force est d’admettre aujourd’hui qu’il avait vu juste!